Jeu et Sacré dans « Bambou totémique mouvant »
Ma performance Bambou totémique mouvant trouve des échos dans les travaux de Roger Caillois, notamment autour des notions de jeu et de sacré. Ces concepts structurent et nourrissent ma démarche par plusieurs aspects.
Jeu : Entre hasard, règles et libre participation
Dans Les Jeux et les Hommes (1958), Caillois définit quatre catégories principales de jeux : agon (compétition), alea (hasard), mimicry (imitation) et ilinx (vertige). Ma performance repose essentiellement sur le hasard (alea) et un cadre de règles strictes.
Alea (hasard) : Le choix des élastiques que je trouve dans l’espace public est dicté par le hasard. Je ne contrôle ni leur apparition ni leur disposition. J’accepte ces contingences en respectant une règle que je m’impose : ne collecter que ce qui est découvert lors de mes marches, sans interférence extérieure.
Règle et protocole : Comme tout jeu, ma performance repose sur un protocole précis : des critères spécifiques d’intégration des artefacts, des interstices marquant les transitions temporelles, et la documentation systématique de chaque collecte. Ce cadre structure ma pratique tout en laissant place à l’imprévu.
Sacré : Rituel, totem et transcendance
Dans L’Homme et le Sacré (1939), Caillois explore comment les rituels collectifs et les objets totemiques relient l’ordinaire au transcendant. Mon travail s’inscrit dans cette logique.
Rituel quotidien : La répétition quotidienne de mes marches et de mes gestes – enrouler les élastiques, marquer les interstices, géolocaliser chaque artefact – confère un caractère rituel à ma démarche. Ces gestes simples donnent une valeur symbolique à des objets abandonnés.
Le bambou comme totem : En accumulant ces artefacts, mon bambou devient un objet sacré, porteur de mémoire et d’histoires. À l’image des pratiques ancestrales, il incarne un lien entre mon environnement, mon corps en mouvement et une dimension symbolique plus vaste.
Sacralisation du banal : Je transforme un objet ordinaire, un élastique trouvé, en élément d’un totem chargé de sens. Ce processus rejoint les réflexions de Caillois sur la manière dont le sacré émerge du quotidien à travers le jeu et les rites.
Le lien entre jeu, sacré et nature
Caillois montre que les jeux rituels et sacrés s’inspirent souvent des rythmes naturels. Cette idée traverse également ma performance.
Stratification temporelle : Les interstices marquant la fin de chaque journée évoquent les cernes des arbres ou les couches géologiques. Ils symbolisent une sédimentation du temps, à la fois naturelle et humaine.
Ordre dans le chaos : Les artefacts que je collecte, choisis par le hasard, sont organisés selon un rituel précis. Ce processus incarne la tension entre désordre naturel et construction symbolique, une dynamique que Caillois associe au sacré.
La marche comme rituel naturel : Par mes déplacements, je relie mon corps à l’espace environnant. En tant qu’intermédiaire entre la matière trouvée et le totem, je reproduis une forme de rituel naturel, proche de ce que Caillois identifie dans les pratiques sacrées.
Jeu et sacré dans l’art contemporain
Caillois montre que les pratiques rituelles et ludiques se transforment pour s’intégrer aux formes modernes. Ma performance s’inscrit dans cette continuité.
Fusion du jeu et de l’art conceptuel : En réinterprétant la notion de totem et en intégrant des éléments numériques (comme la géolocalisation des artefacts), je redéploie la puissance du ludique et du sacré dans un cadre contemporain.
Narration ouverte et universelle : Mon travail propose une réflexion sur le temps, la mémoire et les liens entre l’humain et l’espace. Ces thématiques dialoguent avec les idées de Caillois, tout en les actualisant à travers ma pratique.
Conclusion
Bambou totémique mouvant témoigne de la coexistence entre le ludique (protocole, hasard) et le sacré (rituel, totemique). Par cette démarche hybride, je rends hommage à l’idée de Caillois selon laquelle le jeu et le sacré sont des moyens fondamentaux pour structurer et interpréter le monde.