Sensation physique : souplesse vibrante, traversée intense, pas légers mais chargés (☀️ / 🌦️)
Climat intérieur : joie mêlée de gravité, nostalgie naissante, accomplissement calme (🎈 → 🪨 → 🎐)
Rencontres : une femme en deuil, effondrée, dévoilant sa peur derrière une façade de méfiance. Tu lui offres un mot simple : « Faites confiance à la vie. »
Objets récoltés : la phrase « Je suis martiste », née en chemin. Un mot-totem forgé par le souffle, les pas et la parole.
Inattendu : interpellation frontale sur un trottoir, se muant en aveu bouleversant. Un mur devient larmes. Une frontière devient faille.
Idée-force : « La marche désinhibe la vérité calme. »
Résonance intérieure : « Je passe, madame. Je respire le monde. »
Écho de la veille : La boucle se referme. Ce qui hier était structure (désir – projection – action) devient souffle incarné : martiste.
Je suis arrivé à la fin. Treize jours. Treize pas majeurs dans le réel. Non pas pour le traverser, mais pour l'épouser. L'étape de ce jour, Saligny-sur-Roudon à Marcigny, clôt le cycle de cette performance. Elle n'est pas une fin, elle est une désagrégation calme de l'attente.
Je ne marche pas pour arriver. Je marche pour que quelque chose s'efface, et qu'autre chose apparaisse. Dans cette dernière journée, la fatigue était portée par une sorte de légèreté grave. Comme si le corps savait qu'il allait poser l'acte final, sans pour autant vouloir célébrer.
Ce matin, un mot m’est venu. Un mot que je n’avais pas cherché, mais qui m’attendait. Il s’est dit par dérapage, par effraction douce : martiste. Un lapsus éveillé. À l’intersection du marcheur et de l’artiste, de l’être et du faire, du pas et du sens. Ce mot ne désigne pas un genre, ni un statut. Il est un souffle. Il nomme un geste. Il ouvre un territoire.
Celui qui tresse dans le monde en marchant. Celui qui pense en traçant. Celui qui inscrit l’éphémère dans la densité du réel, sans surplomber. Je n’ai pas inventé ce mot. Il m’a été soufflé par la marche elle-même, par l’état de corps que provoque la durée, l’exposition, le souffle répété.
Je l'ai enregistré en marchant, souffle au micro, réel autour. Une bande-son nue, sans musique. Le texte a été posé en surimpression sur une vidéo noire et blanche, filmée latéralement. Le bâton comme totem, la démarche comme signature. L’image se ferme sur une phrase : Je suis martiste. Puis mon nom. Et la date.
Aujourd'hui, je n'ai pas seulement marché. J'ai affirmé une naissance. Pas une naissance physique, mais une naissance d'énonciation.
En marchant, j’ai pensé à la marche comme forme de désinhibition. Une idée que j’avais croisée sans la nommer. On dit souvent que l’alcool désinhibe. C’est vrai. Mais la marche aussi. Elle désinhibe en profondeur, en douceur, sans perte de maître. Elle ne fait pas tomber les masques par la force, elle les laisse glisser, comme un vêtement devenu trop lourd. Là où l’alcool provoque une parole débordante, la marche libère une parole nue. Pas plus de mots, mais plus de justesse. Plus d’évidence.
J’ai pensé aussi à la marche comme manière d’éprouver le réel. Contrairement à la station assise, qui invite la pensée à s’échapper, la marche engage le corps entièrement. Elle oblige à habiter chaque centimètre de route, à éprouver le monde à travers le souffle, la douleur, la joie musculaire, le temps. Merleau-Ponty, Frédéric Gros, Maldiney, Certeau — tous pourraient se joindre à moi aujourd’hui pour dire que marcher, ce n’est pas se déplacer. C’est entrer en résonance physique avec la texture du monde.
En marchant, j’ai aussi rencontré l’autre. Une scène forte a surgit : une femme, sur le pas de sa maison, qui m’a d’abord interpellé avec suspicion. « Qu’est-ce que vous faites ? » m’a-t-elle dit. Ma présence, mon arrêt contre son mur, mon pain sorti du sac ont dérangé. J'ai répondu, un peu blessé : « Je passe, madame. Je respire le monde. » Et soudain, cette femme s’est effondrée en larmes. « J’ai perdu mon mari. J’ai peur. »
Ce moment m’a bouleversé. Parce qu’il disait tout : la peur, la méfiance, le deuil, la solitudine, mais aussi la possibilité d’un basculement. En une phrase, j’avais déplacé la méfiance en confidence. C’est ce que peut la marche : désactiver les frontières symboliques. Non par la force, mais par la présence.
Dans cette journée s’est également posée une réflexion sur les non-lieux, au sens de Marc Augé. Je les traverse depuis treize jours : routes secondaires, parkings, stations-services, zones d’attente. Augé dit qu’un non-lieu est un espace sans relation, sans mémoire, sans identité. Mais je pense qu’à force de marcher, de regarder, d’écouter, on peut les transformer. Ce que je fais, peut-être, c’est déposer du mythe dans le banal. Injecter du sens dans l’interchangeable. Faire d’un non-lieu un presque-lieu, par simple insistance présente.
RD
« Je suis martiste. »
Photographie prise à l’approche de Marcigny, à quelques kilomètres de l’arrivée de la dernière étape de la performance « Paris–Marcigny : L’écriture des pas ». On y voit le mur de pierre longeant la « Route de Marcigny » avec, en surimpression, les données GPS et les éléments de réalité augmentée utilisés pendant la marche. Le point d’arrêt est localisé à une altitude de 293 m. L’image témoigne du croisement entre présence physique et navigation symbolique.
Photographie prise le 3 mai 2025 à 7h01, environ une heure après le départ de la dernière étape de la performance « Paris–Marcigny : L’écriture des pas ». Captée en marche avec l’application de réalité augmentée, elle indique l’altitude (266 m), la direction de marche, la vitesse et les coordonnées GPS. La lumière du matin effleure l’horizon, marquant un seuil symbolique entre l’élan du corps et la fin à venir.
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