Le bâton de Khadija

« Bambou totémique mouvant » est une performance où la marche et la collecte d'élastiques trouvés sur le chemin forment un rituel. En enroulant chaque élastique autour du bambou, ce dernier se transforme progressivement en totem. Cette œuvre explore la relation entre le corps, l'espace et le mouvement, et questionne la place des objets intimes, perdus, dans l'espace public.

Le bâton de Khadija


Il y a quelques mois, au début de ma performance « Bambou totémique mouvant », une cousine m'a envoyé une photo via Messenger. Elle m'a transmis une image du bâton de sa mère, ma tante Khadija. Ce qui m'a frappé, c'était la ressemblance entre le sien et le mien, révélant une forme de synchronicité  familiale. Ce qui m'a également surpris, c'est la coïncidence des gestes : ma tante enroulait des tissus et des chouchous autour de son bâton, tandis que moi, j'enroule des élastiques autour du mien, un même geste qui se répète, mais décalé dans l'espace et dans le temps : ma tante en Tunisie à la fin de sa vie, et moi, en France, plus récemment. Cette résonance gestuelle fait littéralement émerger une ritournelle qui se déploie à travers un décalage spatio-temporel.

Vers la fin de sa vie, alors qu'elle rencontrait des difficultés croissantes à se déplacer, ma tante avait pris la décision de fabriquer elle-même son propre bâton, un acte qui témoignait de sa résilience et de sa volonté de rester indépendante. Malgré les offres de sa famille pour lui procurer une canne standard, elle avait choisi une solution personnelle, créant ainsi un objet unique. Elle l'avait orné de divers matériaux : du tissu, un collant enroulé, un petit chouchou, et même un pot de yaourt. Lorsque sa fille, intriguée par le caractère inhabituel du pot de yaourt fixé au bas du bâton, lui avait demandé pourquoi elle l'avait ajouté, ma tante avait simplement répondu : « C'est pour amortir les chocs, laisse-moi tranquille. »

Ma tante, couturière de métier, qui avait consacré sa vie à travailler la matière, notamment le tissu, possédait une imagination foisonnante et une capacité exceptionnelle à transformer la matière et les objets. Ce bâton reflétait parfaitement son esprit inventif. Ma cousine, gênée par le refus de sa mère d'accepter une canne neuve, lui avait dit : « Que vont dire les gens ? Ils penseront que nous n'avons pas les moyens de t'en acheter une. » Elle avait même menacé de jeter le bâton, mais ma tante était restée ferme et avait décidé de garder son bâton.

La résonance des gestes, le bâton de ma tante ainsi que les totems créés au cours de ma performance marchée m'a profondément troublé.