Protocole « Bambou totémique mouvant »
« Bambou totémique mouvant » est une performance où la marche et la collecte d'élastiques trouvés sur le chemin forment un rituel. En enroulant chaque élastique autour du bambou, ce dernier se transforme progressivement en totem. Cette œuvre explore la relation entre le corps, l'espace et le mouvement, et questionne la place des objets intimes, perdus, dans l'espace public.
Introduction
Plasticien marcheur, je développe depuis plusieurs années une pratique centrée sur la notion de ligne comme trace ouverte et abstraite. Inspiré, entre autres, par Richard Long et par André Cadere. Ce dernier arpentait Paris dans les années 70 avec ses Barres de Bois Rond, introduisant volontairement une « erreur » dans son système de couleurs. Dans le sillage de Cadere, ma performance « Bambou totémique mouvant » s’inscrit dans un protocole précis : je marche et collecte des élastiques à cheveux, que j’enroule autour d’un bambou. À la différence des choix prémédités de Cadere, je laisse le hasard déterminer la couleur et la taille des artefacts, rendant chaque totem unique. Voici le protocole qui régit cette démarche.
Principe général
Dans cette performance, je transforme un bambou en totem par la collecte d’artefacts glanés lors de mes marches. Ces objets, principalement des élastiques à cheveux, sont enroulés autour du bambou en respectant des principes spécifiques.
Le bambou devient alors à la fois une œuvre tangible et un symbole : c’est un calendrier, une stratification à la fois temporelle et matérielle. En stratifiant ces artefacts, je souligne l’idée d’une progression lente et continue, façonnée par le temps et par mes déplacements quotidiens.
Critères de collecte des artefacts
Caractéristiques nécessaires pour intégrer un artefact :
L’artefact doit posséder des propriétés intrinsèques (élasticité, pincement, possibilité d'enroulement…) lui permettant de s’agencer au bambou sans dispositif externe (colle, clous, scotch).
Chaque objet doit donc pouvoir être enroulé, pincé ou accroché de manière autonome au bambou.
Variété des artefacts :
Bien que je collecte majoritairement des élastiques à cheveux, d’autres objets peuvent être intégrés s’ils répondent aux critères ci-dessus.
Cette diversité enrichit le totem et reflète la pluralité des micro-histoires rencontrées lors de mes marches.
Méthode d’agencement
Enroulement quotidien :
Chaque jour, j’agence plusieurs artefacts trouvés autour du bambou.
Une fois ceux du jour en place, je laisse volontairement un interstice (espace visible du bambou). Cet interstice marque la fin de la journée et la transition vers la suivante.
Fonction symbolique des interstices :
Ces intervalles agissent comme des marqueurs temporels : chacun correspond à une journée spécifique, évoquant la sédimentation géologique ou encore les cernes d’un tronc d’arbre.
Cette approche transforme le bambou en un calendrier vivant, où chaque strate représente l’empreinte d’une marche quotidienne.
Mon rôle en tant qu’artiste
En tant qu’intermédiaire ou « intercesseur » entre le bambou et les artefacts :
Je ne modifie jamais les objets collectés. Mon geste se limite à mettre en contact l’artefact et le bambou, en respectant leurs propriétés physiques et matérielles.
Ce rapport minimaliste à la matière permet de préserver la singularité de chaque objet trouvé.
Ma fonction se rapproche de celle d’un archiviste ou d’un médiateur, rassemblant ces micro-histoires personnelles (cheveux, traces, résidus de passages) pour les intégrer dans un récit plus vaste.
Dimension temporelle et matérielle
Temporalité :
À mesure que s’accumulent les artefacts et que se succèdent les interstices, le bambou témoigne de la durée totale de la performance.
Cette lente progression reflète la régularité de mes marches et la constance du geste de collecte.
Matérialité :
Les objets collectés forment des strates de matière, qui incarnent le temps passé et font écho aux processus naturels (géologie, croissance des arbres, superposition de couches).
Chaque élastique ou artefact raconte une micro-histoire : un geste de perte ou d’abandon dans l’espace public, qui rejoint l’histoire de cette performance en devenir.
Documentation et représentation
Photographies, géolocalisation et annotations géographiques :
Lors de chaque marche, je documente la collecte de chaque élastique en le photographiant et en relevant ses coordonnées GPS.
Chaque artefact est ensuite inscrit sur une carte en ligne, qui rassemble et localise l’ensemble des trouvailles, offrant ainsi une vision globale de la dispersion géographique de la performance.
Cette démarche enrichit l’œuvre d’archives visuelles et narratives, où se croisent le corps en mouvement, la matière et l’espace virtuel.
Significations poétiques et conceptuelles
Le bambou comme totem en mouvement :
Il symbolise la vie en déplacement, l’élan continu de la marche et la capacité à absorber tout ce que le chemin offre.
Il se fait écho des forces naturelles et culturelles, comme un canal reliant mon corps à l’environnement traversé.
Les artefacts comme strates temporelles :
Chaque élastique ou autre objet collecté a son histoire, sa provenance, et devient un fragment d’un récit plus vaste.
À travers leur superposition, les artefacts forment un palimpseste, entrelacé de souvenirs et de possibles interprétations.
La performance comme « calendrier » :
En relevant mes déplacements de manière rituelle, je construis un calendrier matériel.
Ce dernier déploie visiblement le temps et la persistance de mes marches quotidiennes, soulignant la présence continue de mon corps dans l’espace public.
Conclusion
Cette performance, en résonance avec le jeu et le sacré tels que décrits par Roger Caillois, fait du Bambou totémique mouvant un espace de rencontre entre l’artificiel et le naturel. Chaque marche devient un rituel qui transforme les élastiques trouvés en éléments d’un totem vivant, révélant l’équilibre fragile - par définition - entre hasard et protocole. Le bambou ainsi paré, symbole d’un ordre temporaire émergé du chaos, invite à réfléchir sur la place du sacré et du ludique dans la démarche artistique.Je ne modifie jamais les objets collectés. Mon geste se limite à mettre en contact l’artefact et le bambou, en respectant leurs propriétés physiques et matérielles.
Ridha DHIB