Ex-tracés 

Performance marchée de Ridha DHIB : 5232 km sur les traces des réfugiés...


15 mars - 26 août 2022

22 juillet 2022 —Étape N°125 : Nallıhan - Çayırhan

Quand je me suis levé ce vendredi 22 juillet pour entamer ma 125ᵉ étape, de Nallıhan à Çayırhan, j’avais déjà parcouru près de 3930 km depuis Paris. L’objectif du jour était d’avancer d’une quarantaine de kilomètres supplémentaires sur cette route qui me rapproche d’Ankara, puis à terme de Mardin. Il régnait une atmosphère particulière dans cette ville de départ, difficile à prononcer et déroutante à bien des égards : j’y ai éprouvé quelques difficultés à trouver un thé tôt le matin, et le GPS s’obstinait à me proposer des itinéraires piétons improbables à travers la montagne. Malgré ces détails, j’ai quitté Nallıhan à l’aube, la tête pleine des images de la veille—entre un appel à la prière envoûtant et, peu après, des bruits de dispute et de coups de feu qui m’ont surpris dans la nuit.

Photo prise par Ridha Dhib le 22 juillet 2022 à 6h28 sur la place Alpaslan Türkeş Parkı à Nallıhan, montrant deux statues de femmes âgées, assises sur un banc et séparées par un espace vide. À l’arrière-plan, on distingue une fontaine, des drapeaux turcs suspendus, ainsi que les collines verdoyantes de la région.

Photo prise le 22 juillet 2022 à 6h28 sur la place Alpaslan Türkeş Parkı à Nallıhan, montrant deux statues de femmes âgées, assises sur un banc et séparées par un espace vide. À l’arrière-plan, on distingue une fontaine, des drapeaux turcs suspendus, ainsi que les collines verdoyantes de la région.

Dès les premiers kilomètres, j’ai constaté que la route serpentait encore à travers une zone vallonnée, mais moins difficile que la veille, où j’avais couvert plus de 50 km. Je me sentais malgré tout fatigué : mon épaule droite me rappelait l’effort fourni. Les reliefs, quoique présents, s’ouvraient progressivement sur des panoramas plus arides. J’ai profité de rares villages nichés derrière les collines pour me reposer ou boire un thé, en utilisant parfois des gestes et quelques mots pour communiquer avec les habitants qui m’accueillaient, souvent méfiants au début, puis très chaleureux une fois la glace rompue.

En chemin, je suis tombé sur un petit café improvisé où l’on m’a offert un thé et où j’ai échangé quelques bribes de conversation ; un homme évoquait « Perpignan » comme repère lointain, preuve que le monde est petit et que la curiosité est partagée. Parfois, je rencontrais de simples stations-service, essentielles pour remplir mes bouteilles et échanger un sourire. Les rencontres les plus inattendues venaient des chauffeurs de camions : l’un d’eux s’est même arrêté pour me proposer de monter à bord. J’ai refusé poliment, mais il m’a offert deux bouteilles d’eau, dont je n’ai gardé qu’une seule faute de place.

Vers la mi-journée, j’ai découvert un paysage radicalement différent, presque lunaire. Les montagnes classiques couvertes d’arbres laissaient la place à de vastes étendues d’ocre, parfois rouge, parfois jaune, avec très peu d’arbres pour faire de l’ombre. Cela me rappelait certaines images de routes américaines, longues, droites et bordées de roche. J’ai profité d’un maigre bosquet pour faire une pause et y inscrire le 125ᵉ passage de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, un geste qui ponctue chaque étape de ce périple. Les rares brises qui soufflaient dans cette zone désertique me donnaient l’impression d’un souffle vivifiant, tout en me protégeant de la chaleur.

Au fil de ces kilomètres, je me suis surpris à me demander : « Mais pourquoi poursuivre ? Qu’est-ce qui me pousse à marcher depuis si longtemps ? » J’ai fini par répondre à moi-même qu’il y avait là une forme de nécessité, quelque chose qui me dépassait, comme un élan vital. Je comparais cette marche à un geste d’enfant : quand on jette une pierre pour voir jusqu’où on peut la lancer, on évalue ses limites, on teste sa puissance. Ici, la pierre, c’est moi : je me suis « jeté » sur la route pour atteindre Mardin, porté par une envie profonde, par l’énergie que me transmettent les gens et les paysages, par l’émerveillement de ces petits moments qui transforment la poussière en or au lever du soleil.

 Photo prise le 22 juillet 2022, lors de l’étape n°125 (Nallıhan – Çayırhan) de mon parcours “Ex-tracés”. On y voit le marchand d’alcool local, debout dans sa boutique (“tekel bayi”), portant mes lunettes de soleil. Autour de lui, des présentoirs remplis de boissons et de produits. Ce moment illustre l’accueil chaleureux reçu à l’arrivée dans la ville.

Sur cette photo, prise à l’intérieur d’un « tekel bayi » à Çayırhan, on voit le marchand d’alcool qui vient d’essayer mes lunettes de soleil. Il se tient debout devant les étagères de la boutique où sont disposées différentes boissons, souriant à l’objectif. L’instant illustre la convivialité de notre rencontre et l’accueil chaleureux que j’ai reçu en arrivant dans la ville.

Finalement, j’ai atteint Çayırhan après une quarantaine de kilomètres, la fatigue bien présente. Avant de rejoindre l’auberge où l’on m’attendait, je suis entré dans un « tekel bayi » — une boutique vendant de l’alcool — pour acheter quelques bières. C’est là que j’ai fait la connaissance du marchand, qui tenait absolument à essayer mes lunettes ! Nous avons discuté, sympathisé, et il a même insisté pour m’offrir une bière. D’autres personnes du coin se sont jointes à nous et, très vite, cet arrêt imprévu s’est transformé en un chaleureux moment de bienvenue. Après cette pause conviviale, je suis reparti vers l’auberge, le cœur léger, porté par l’hospitalité des gens de Çayırhan. Une fois de plus, cette étape m’a rappelé à quel point chaque rencontre donne à cette marche un sens nouveau et nourrit mon envie d’avancer. Chaque jour, je réalise un peu plus à quel point ce projet, parti d’une idée parfois difficile à exprimer, se révèle dans les détails du chemin, dans les sourires échangés, et dans la force de ce vent qui, tantôt me fouette, tantôt me caresse, mais continue de me porter vers la suite du voyage.

125e passage de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés inscrit en braille avec des pierres à l’ombre d’un aulne cordé à Yolu, 06920 (Turquie). Ici précisément : 40°06'38.5"N 31°31'30.4"E. Est écrit : «…ttte Conventi… ». 

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