Une mythologie du présent
Figures de l’invisible en mouvement
Au fil de mes marches, je saisis des silhouettes de dos.
Sans visage. Sans nom.
Chacune est une énigme, une fable en puissance sur nos seuils urbains.
Ces figures ne sont pas des portraits : ce sont des archétypes.
Elles incarnent ce qui nous dépasse et nous constitue : la solitude ou le soin, la lutte ou l'abandon, la gravité ou la fugue.
À hauteur de pas, mon smartphone traque le geste.
Parfois, un ralenti l'épaissit, impose la présence, révèle la trace.
Je fais de ces corps anonymes des miroirs tendus à notre condition.
Et de leurs mouvements, le fragment d'un mythe contemporain.
ARCHÉTYPE URBAIN #15 Le lien se déplace
ARCHÉTYPE URBAIN #14 Exercice ? Rituel ?
ARCHÉTYPE URBAIN #13 Le porteur absent
ARCHÉTYPE URBAIN #12 L’ange de Réaumur
Une Micro-politique du regard
Au-delà de sa dimension poétique, le projet "Archétypes Urbains" s'ancre dans une démarche micro-politique. Il ne s'agit pas de brandir un message, mais d'opérer de subtils déplacements dans la manière de voir et de parcourir la ville. Cette pratique se déploie sur trois axes :
Premièrement, elle perturbe ce que le philosophe Jacques Rancière* nomme "le partage du sensible". En accordant une visibilité et une temporalité intenses à des corps que l'ordre urbain tend à ignorer, cet acte de filmer redistribue les places. Il rend visible ce qui ne devait pas l'être et conteste ainsi, par des moyens esthétiques, la répartition des présences légitimes dans l'espace public.
Deuxièmement, la démarche emprunte à Michel de Certeau* sa vision de la marche comme "tactique". Face à la "stratégie" des urbanistes qui quadrillent et optimisent la cité, le marcheur se réapproprie l'espace par ses dérives. Les "Archétypes" sont des figures de cette résistance discrète, et l'acte de les suivre est un "braconnage" poétique, une manière de créer du sens dans les interstices du pouvoir.
Enfin, ce travail questionne le régime de la surveillance généralisée théorisé par Michel Foucault*. À la surveillance verticale et contrôlante des caméras, il oppose une "sous-veillance" horizontale, à hauteur de pas. Le smartphone, outil potentiel de contrôle, est retourné pour devenir un instrument d'attention. Le regard n'est plus celui qui juge, mais celui qui témoigne. Ainsi, chaque vidéo devient le lieu d'une résistance esthétique, une manière de politiser le réel par le simple fait de le regarder autrement. RD
Jacques Rancière, Le Partage du sensible : Esthétique et politique, La Fabrique, 2000.
Michel de Certeau, L'Invention du quotidien, 1. Arts de faire, Gallimard, 1990.
Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975.
ARCHÉTYPE URBAIN #11 Le Marcheur Sélénéen
ARCHÉTYPE URBAIN #10 Entrées / Sorties
ARCHÉTYPE URBAIN #9 Le Porteur
ARCHÉTYPE URBAIN #8 Transhumance urbaine
ARCHÉTYPE URBAIN #7 Énigme mouvante
ARCHÉTYPE URBAIN #6 Racler la ligne
ARCHÉTYPE URBAIN #5 L’Allégée
ARCHÉTYPE URBAIN #4 La prière
ARCHÉTYPE URBAIN #3 Les Voisines d’ombre
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ARCHÉTYPE URBAIN #1 La Flottante
ARCHÉTYPE URBAIN #0 La Matrice