Le 2 juin 2022, j’entrepris la 78ᵉ étape de ma performance « Ex-Tracés », une marche de 5232 km sur les traces des réfugiés, entre Fushe Vig et Rrëshen, en Albanie. Le départ fut donné à 5 heures du matin, avec l’objectif de parcourir environ 35 à 36 km. L’orientation se fit au GPS, réglé en mode « véhicule » afin d’éviter les sentiers incertains, mais malgré cette précaution, l’itinéraire se révéla plus complexe que prévu : un chemin théoriquement cartographié s’acheva dans un lac non signalé, tandis que la canicule, le relief accidenté et l’absence d’indications claires vinrent compliquer la progression. Il me fallut improviser des détours, reculer sous une chaleur écrasante et compter sur la générosité spontanée des habitants pour m’indiquer des routes plus praticables.
La marche vers le sud-est imposa une vigilance constante. Les infrastructures étaient parfois dégradées ou barrées, faute d’entretien et de signalisation. Pourtant, face à cette réalité marquée par une forme de « claptocratie », je constatai la résilience et l’auto-organisation exemplaires des communautés locales : au fil des kilomètres, je fus témoin d’une hospitalité sincère et généreuse. Les gens offraient de l’eau, du raki (une eau-de-vie locale emblématique d’un véritable rituel de convivialité) et prodiguaient conseils et soutien logistique pour aider les voyageurs de passage.
Ce jour-là, à Rrëshen, j’eus la chance de croiser la route d’Albert et de sa femme Flora, propriétaires d’un petit supermarché. Juste devant leur boutique, je réalisai une performance symbolique : j’inscrivis, en braille et à l’aide de cailloux, le 78ᵉ passage de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, transformant ainsi ce lieu ordinaire en un espace d’échanges et de mémoire. Albert, parfaitement francophone, m’accueillit avec une gentillesse désarmante : après notre discussion informelle dans son magasin, il m’invita à dîner dans sa maison, en compagnie de Flora et de leur famille. Dans leur jardin paisible, nous partageâmes un repas nourri de rires, d’anecdotes et de raki, une boisson qui incarnait ici bien plus qu’un simple apéritif : c’était un véritable lien social, un symbole de reconnaissance et d’intégration.
Ces moments d’humanité m’offrirent un éclairage précieux sur la culture albanaise et m’invitèrent à reconsidérer la réputation internationale souvent injustement attachée à ce pays. Partout, je découvris de belles preuves de solidarité, de simplicité et d’ouverture à l’autre. L’accueil chaleureux d’Albert et de Flora, leur disponibilité, leur curiosité envers mon projet : tout cela fit écho à la puissance de la rencontre dans ce cheminement au long cours, où l’on se sent à la fois étranger et étonnamment chez soi.
Dans les jours qui suivirent, je décidai d’ajuster mon itinéraire pour longer la côte, où la population était plus dense et les opportunités de rencontres plus fréquentes. Je visais une traversée de l’Albanie en une semaine, en m’appuyant sur les conseils avisés des aubergistes et des habitants croisés en chemin. À chaque étape, la marche me confronta à de nouveaux défis, mais aussi à l’inattendu de ces instants de grâce, lorsque la générosité humaine et la curiosité partagée faisaient oublier la fatigue et l’hostilité de la route.
Je conclus cette journée, riche en péripéties et en rencontres, avec la conviction renouvelée que « la beauté devant nous, nous marchons ; la beauté derrière nous, nous marchons ». À Albert, Flora et à toutes celles et ceux qui illuminèrent cette 78ᵉ étape : merci pour votre accueil, votre simplicité et votre chaleur. Vous serez les bienvenus à Paris, où je me ferai une joie de vous recevoir à mon tour.
78e passage de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés inscrit en braille avec des cailloux sur un trottoir devant un supermarché. Ici précisément : 41°46'03.8"N 19°52'37.5"E. Est écrit : « …nt elle a la nationalité; ou (2) S… ».