Ex-tracés
Performance marchée de Ridha DHIB : 5232 km sur les traces des réfugiés...
15 mars - 26 août 2022
15 mars - 26 août 2022
Lorsque je me suis réveillé ce vendredi 29 juillet 2022, prêt à commencer la 132ᵉ étape de mon parcours, je savais que j’allais affronter près de 38 kilomètres entre Kırıkkale et Keskin, en Turquie. Je me suis donc accordé un copieux petit déjeuner afin de prendre des forces pour la journée à venir. À ce stade de mon voyage, j’avais déjà parcouru plus de 4200 kilomètres depuis Paris et il me restait un peu plus de 800 kilomètres jusqu’à Mardin. Malgré l’effort physique qu’exigeait cette étape, j’étais ravi à l’idée des rencontres et des découvertes qui m’attendaient sur la route.
En quittant Kırıkkale, j’avais repéré la possibilité de loger dans une « Maison des Professeurs » (Öğretmenevi), un type d’établissement répandu en Turquie. Principalement destinées aux enseignants et à leurs familles, ces structures proposent des chambres, de la restauration et des espaces conviviaux à des tarifs abordables, promouvant ainsi le bien-être et l’intégration de la communauté éducative. Même si elles sont conçues en priorité pour les enseignants, certaines « Öğretmenevi » accueillent le grand public selon les disponibilités, et je comptais sur cette flexibilité pour y séjourner. C’est d’ailleurs grâce au soutien d’un ami turc, qui a suivi mon parcours par téléphone tout au long de ma traversée du pays, que j’ai pu plus aisément effectuer mes réservations, tant dans les Öğretmenevi que dans d’autres hébergements.
132e passage de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés inscrit en braille avec du charbon sur le mur d'une station-service désaffectée à Hasandede en Turquie. Ici précisément : 39°45'49.9"N 33°30'09.7"E. Est écrit : «…ne institution des Natio… ».
Plus tard dans la journée, je suis tombé sur une station-service abandonnée, un paysage désormais familier depuis mon passage en Croatie. J’ai profité de cet espace pour inscrire, au charbon, le « 132ᵉ passage de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés ». Ce geste symbolique illustre mon envie de laisser une trace, de rappeler la situation des réfugiés tout au long de mon périple.
Cette longue journée de marche a également été ponctuée de rencontres bienveillantes. À la sortie de Kırıkkale, des ouvriers m’ont hélé depuis une cimenterie. L’un d’eux m’a invité dans leur petit potager afin de m’offrir quelques concombres tout juste cueillis.
Nous avons ensuite partagé un thé, échangeant sur nos réalités respectives grâce à une application de traduction. J’ai ressenti leur curiosité envers l’Europe et la raison de ma marche, mêlée parfois d’une forme d’incompréhension face à ce qu’ils imaginent être l’Occident.
Plus loin, un marchand d’alcool m’a interpellé depuis son échoppe. Malgré son regard un peu confus, il m’a accueilli chaleureusement, m’offrant de quoi manger et partageant ses inquiétudes sur la situation du pays. Ces interactions, même éphémères, demeurent au cœur de ma démarche : aller à la rencontre de l’autre, m’imprégner de sa culture, tout en poursuivant mon propre chemin artistique.
Le reste de la route a été marqué par la présence insistante de moucherons qui semblaient bien décidés à ne pas me lâcher. Heureusement, le climat était clément et le relief vallonné rendait cette étape de 38 kilomètres tout à fait praticable. Peu à peu, je me suis rapproché de Keskin, le corps fatigué mais l’esprit rempli d’images et d’histoires glanées au fil des kilomètres.
En arrivant aux abords de Keskin, j’ai pris conscience qu’au-delà de la marche en elle-même, chaque instant de cette aventure participe à interroger la notion de trace, qu’elle soit personnelle ou collective. Mes inscriptions, mes discussions, mes gestes symboliques rappellent la précarité des réfugiés et la nécessité de leur accorder une place dans notre mémoire collective.
RD