Ex-tracés
Performance marchée de Ridha DHIB : 5232 km sur les traces des réfugiés...
15 mars - 26 août 2022
15 mars - 26 août 2022
Quand je me suis réveillé ce 21 juillet 2022, j’ai tout de suite compris que cette journée serait particulière : une longue étape m’attendait entre Mudurnu et Nallıhan, soit 54 kilomètres à travers des zones montagneuses où il est presque impossible de trouver un hébergement intermédiaire.
Cette photographie, prise le 21 juillet 2022 à 9h43 près de Dolayüz (Mudurnu/Bolu, Turquie), capture un vaste panorama montagneux baigné de lumière. À l’avant-plan, de hauts pins verdoyants encadrent la scène et laissent entrevoir une vallée en contrebas, ponctuée de champs et de reliefs ondoyants.
Je suis parti tôt, dès 5h30, profitant de la fraîcheur matinale pour avancer le plus possible avant que le soleil ne tape. À ma grande surprise, le thermomètre affichait seulement 9°C – un contraste frappant avec la canicule que j’imaginais ailleurs. Les montagnes environnantes étaient enveloppées de brume, créant un décor mystérieux. Très vite, les nuages se sont dissipés, dévoilant un paysage impressionnant et un relief qui laissait présager une étape exigeante.
Cette photographie, prise le 21 juillet 2022 à 6h56 près de Mudurnu, en Turquie, montre l’impressionnant alignement de villas inachevées du projet Burj Al Babas. Conçues pour ressembler à de petits châteaux, elles se dressent les unes à côté des autres au pied de collines boisées, créant un paysage surréaliste entre rêve de luxe et abandon.
Au fil des heures, j’ai traversé des vallées et longé de petites fermes isolées. À un moment, je suis tombé sur un lieu insolite : une multitude de maisons coiffées de tours rappelant de petits châteaux. J’ai alors appris qu’il s’agissait du Burj Al Babas, un ambitieux projet immobilier situé près de Mudurnu, en Turquie, initié en 2014 par le groupe Sarot. L’objectif était de bâtir plusieurs centaines de villas de luxe inspirées de différentes architectures, avec notamment des tours cylindriques évoquant la tour de Galata ou encore une structure centrale destinée à abriter un centre commercial et diverses commodités. Malheureusement, en raison de difficultés financières et d’un ralentissement des ventes, le projet a été stoppé, laissant sur place ces demeures inachevées, comme une étrange ville fantôme moderne. Intrigué par ces tourelles abandonnées au milieu de la verdure, je suis resté un instant à contempler ce décor surréaliste avant de reprendre ma route.
La journée a été rythmée par de longues portions sans point de ravitaillement, forçant de brèves haltes pour reprendre mon souffle et m’hydrater. J’avais déjà enchaîné plusieurs étapes d’environ 50 kilomètres les jours précédents, et je sentais la fatigue peser sur mes épaules. Malgré la difficulté, l’avancée était encourageante : je venais de franchir la barre des 3900 kilomètres parcourus depuis mon départ de Paris, ce qui signifiait qu’Ankara n’était plus qu’à environ 200 kilomètres.
En fin d’après-midi, j’ai continué à progresser tant bien que mal, car je savais qu’il me faudrait atteindre Nallıhan pour y trouver enfin un hébergement. Quand j’ai aperçu les premières maisons de la ville, il était déjà plus de 19h30. J’ai cherché mon hôtel et, avec l’aide d’un épicier du coin, j’ai fini par trouver une petite pension populaire. Pour 100 livres turques – à peine 5 euros – j’ai pu avoir un lit, une douche et la connexion WiFi, soit l’essentiel pour me reposer et partager l’avancée de mon périple.
J’ai pris ce selfie ici le 21 juillet 2022 à 14h01, en pleine étape de ma performance marchée entre Mudurnu et Nallıhan. Je suis sur la gauche, aux côtés de trois hommes attablés dans ce petit café de bord de route, une simple cabane en bois avec une terrasse ombragée. Perdue au milieu des montagnes, cette halte improvisée accueille surtout des camionneurs venus se désaltérer, car on n’y sert ni repas ni grande variété de boissons, si ce n’est du thé ou du café. Lorsque je m’y suis arrêté, les habitants m’ont offert un thé et nous avons échangé quelques mots. Ils étaient curieux de découvrir ma marche de longue distance, et après ce moment convivial, j’ai repris ma route pour continuer l’étape du jour.
124e passage de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés inscrit en braille avec un stylo bille sur le mur de la chambre d'hôtel 107 de l’İnan Otel. Ici précisément : 40°11'07.5"N 31°21'00.1"E. Est écrit : «…térieures. D. Ce… ».
Une fois installé, j’ai pris le temps de réaliser une action symbolique à laquelle je tiens depuis le début de cette marche : inscrire le passage de la Convention de Genève, ici pour la 124e fois. Malgré la fatigue, je tenais à marquer ce lieu, comme je le fais à chaque étape, et j’ai simplement gravé la mention sur une partie du mur de ma chambre, là où un dispositif électrique avait été retiré. Au même moment, le dernier appel à la prière a retenti depuis plusieurs mosquées de la ville. Les montagnes formant un cirque autour de Nallıhan renvoyaient l’écho, créant une sorte de polyphonie captivante.
Cette étape de 54 kilomètres, bien que longue et épuisante, aura été marquée par la beauté des paysages et l’inattendu : des températures fraîches, un village fantomatique de faux châteaux et l’accueil chaleureux d’habitants prêts à me guider dans la ville. Le soir venu, alors que je me tenais à la fenêtre de mon hôtel, j’ai ressenti un mélange de soulagement et de fierté : malgré la fatigue, je maintenais le cap de cette performance marchée. J’étais désormais plus proche que jamais d’Ankara, et chaque kilomètre m’emmenait un peu plus loin dans cette traversée des Balkans à pied.
RD