Quand je me suis levé ce matin-là, à 4h, le sommeil était encore accroché à mes paupières, mais le programme de la journée ne laissait aucune place à la paresse. J’avais rendez-vous à Mirecourt autour de 15h, il fallait donc partir tôt. À 5h15, je me suis mis en marche, sans café – une exception que mon corps a bien notée.
La nuit cédait lentement. Sur la départementale 66, je descendais dans la vallée, le jour pointait à l’horizon, mais le soleil n’avait pas encore craché sa pastille. L’aurore était rose, suspendue. Et soudain, une phrase a surgi, inattendue, comme un bout de mémoire qui gratte depuis les profondeurs : « Regarde, le jour se lève. » Elle est remontée à la surface comme un vieux refrain honteusement refoulé : “Besoin de rien, envie de toi”, une chanson populaire des années 80. Une chanson que j’ai sûrement aimée enfant, puis reniée à l’adolescence. Jung aurait parlé de part d’ombre. Je l’ai cherchée. Écoutée. Et elle m’a traversé, comme un signe, une synapse musicale entre passé et présent. Le chemin fait ça : il frotte des couches, ravive les dépôts, réveille l’oublié.
Vers 8h, après plus de trois heures de marche à jeun, j’ai fait halte dans une commune au nom évanoui – quelque chose comme Charmes, je crois. Une petite ville qui vous accueille avec des bancs et des sourires. Je suis tombé sur une boulangerie, puis un café joliment nommé El Patron. J’y ai enfin pris mon premier café du jour. Là, les rencontres ont pris une teinte inattendue : le patron m’a dit, en souriant, « Vous êtes déjà en Turquie ». Il était d’origine turque, tout comme plusieurs habitués du lieu. Ce fut une belle surprise. On a parlé, échangé, pris un selfie. Avant mon départ, il m’a offert un sachet rempli de douceurs : bonbons, gâteaux, boissons énergisantes. Ce geste m’a profondément touché. Une générosité simple, sans contrepartie, qui laisse une trace.
Plus loin sur la route, toujours sur la départementale 166, j’ai trouvé une médaille en bronze dans son sachet, posée là, au bord du chemin. Une médaille scolaire peut-être, toute neuve, comme si elle avait été perdue ou abandonnée. Geste anodin ? Symbole ? Je l’ai ramassée. Peut-être la publierai-je, au cas où son propriétaire voudrait la retrouver. Ces objets trouvés parlent parfois plus qu’on ne croit.
Tout au long de la journée, une étrange sensation m’accompagnait : cela faisait déjà 10 jours de marche, et pas une seule vache à l’horizon. J’avais croisé des moutons, des lapins, des biches, des canards… mais pas de vaches. Pour qui traverse la campagne, c’est presque une énigme.
À Neufchâteau, la veille, j’avais été accueilli chaleureusement devant le centre culturel François Mitterrand. Une petite parcelle de terre m’y attendait, et avec une truelle, j’y ai inscrit un fragment de la Convention de Genève, en grosses lettres, au creux du terre-plein. J’aime cette idée que chaque ville imprime sa matière dans mon œuvre : ici, le terreau, là, la brique, ailleurs, le béton. Chaque support impose sa forme, chaque carré garde l’empreinte d’un lieu, d’une rencontre.
La soirée s’était prolongée : apéro improvisé, discussions, bon dîner. Puis un logement m’avait été offert dans un appartement de la ville. Je devais encore actualiser mon site, trier les images, documenter le jour. Mais le temps s’est contracté. Tout est allé si vite. À peine couché, déjà levé. Le chemin m’appelait à nouveau.
À Mirecourt, j’ai été accueilli dans d’excellentes conditions pour la réalisation du onzième passage en braille de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. L’inscription a été effectuée sur la place Charles-de-Gaulle, au centre de la ville, dans un bac à sable préparé à cet effet. On pouvait y lire : « …internationaux antérieurs relatifs au statut des réfugiés et d'étendre l'application de ces instru… »
Je remercie chaleureusement Valérie Klein, en charge de la Culture à la ville de Mirecourt, pour son engagement, sa disponibilité et son efficacité. C’est elle qui a pris en charge l’organisation de cette étape, de l’accueil à la mise en place du dispositif. Son soutien a été déterminant dans le bon déroulement de cette intervention.
RD
11ᵉ passage en braille de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, inscrit dans un bac à sable sur la place Charles-de-Gaulle à Mirecourt. On peut y lire :
« …internationaux antérieurs relatifs au statut des réfugiés et d'étendre l'application de ces instru… »