Ex-tracés
Performance marchée de Ridha DHIB : 5232 km sur les traces des réfugiés...
15 mars - 26 août 2022
15 mars - 26 août 2022
Quand j’ai entamé cette 30ᵉ étape, je savais qu’elle serait marquée par la verticalité. Départ à l’aube depuis Ehrwald, un village autrichien niché à 820 mètres d’altitude. Mon objectif : traverser les Alpes de l’Oetztal, grimper jusqu’à 1 600 mètres, puis redescendre vers Leutasch. Entre la neige, la chaleur soudaine et mes réflexions personnelles, cette journée allait s’avérer aussi exigeante qu’inspirante.
Dès les premiers kilomètres, le sentier a disparu sous les pistes de ski. Des canons à neige artificielle bordaient le chemin, transformant la montée en un interminable ruban blanc. « Je dois grimper 700 mètres de dénivelé sur cette neige compacte… », ai-je noté, le souffle court. Sans équipement adapté, chaque pas s’enfonçait dans la neige durcie. Les skieurs, équipés de bâtons, me dépassaient, tandis que je progressais lentement, comme un intrus sur cette « autoroute de glace ».
Après avoir atteint le sommet, la descente s’est révélée tout aussi éprouvante. Les genoux tremblants, j’ai suivi les traces préexistantes dans la neige pour économiser mes forces. « La montagne, il faut l’avaler pli par pli », ai-je murmuré, captant l’absurdité poétique de l’effort. Chaque virage dévoilait des microclimats surprenants : un versant enneigé, puis soudain, une terre sèche où le sentier réapparaissait. La montagne se pliait, se dépliait, et avec elle, mon corps apprenait à intégrer cette géographie mouvante.
À mi-parcours, une halte improvisée près d’un restaurant fermé m’a offert un moment de grâce. Assis à une table en bois, j’ai inscrit le 30ᵉ passage de la Convention de Genève sur la surface rugueuse, utilisant des pommes de pin ramassées à mes pieds. « C’était mon alarme », ai-je expliqué en filmant l’œuvre éphémère. Trente minutes précises pour matérialiser ce symbole : une manière de lier mon périple à celui des réfugiés, dont les droits, rappelés par ces mots, résonnaient dans le silence des cimes.
En fin d’après-midi, la neige a cédé la place à une chaleur inattendue. Longeant une rivière lointaine, j’ai traversé des forêts de résineux où l’air embaumait la sève. « On dirait la garrigue », ai-je soufflé, étonné par ce brusque changement. La température avoisinait les 20°C, mes vêtements de montagne devenant un fardeau. Cette métamorphose climatique, en une seule journée, résumait l’essence du chemin : une succession de contrastes qui forgent autant qu’ils épuisent.
30e passage en braille de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés inscrit devant l'auberge Gaistalalm, sur une table en bois avec des petites pommes de pin. Est écrit : « …er 1938 et du Protocole du 14 septembr…».
En arrivant à Leutasch, j’ai senti à la fois la fatigue de mes jambes et la satisfaction d’avoir apprivoisé la montagne, ne serait-ce que pour un jour. Cette 30e étape m’a offert un condensé de sensations intenses : la neige, la chaleur, les réflexions sur l’effort et la nouveauté, sans oublier la création éphémère de mon « trentième passage » de la Convention de Genève. J’ai pris conscience qu’avancer pas à pas, c’est aussi accepter d’être transformé en permanence par le chemin, ses reliefs et ses surprises. Une belle manière de célébrer ce cap symbolique sur la longue route vers Mardin.
RD