Mardi 9 août 2022. Étape N° 143 Sarız - Yeşilkent
Aujourd’hui, je ne sais pas où passer la nuit.
Dans les profondeurs de la Turquie, pensions et auberges sont rares… sans parler des hôtels.
À mon arrivée à Yeşilkent, je tombe sur une source.
Pour un marcheur, une source au bord du chemin équivaut à une oasis pour une caravane.
Je bois, me rafraîchis, remplis ma poche d’eau.
C’est une bénédiction, surtout après 25 km de marche sous 40°.
Chose étrange : bien qu’à température égale, l’eau de source me paraît toujours plus fraîche que l’eau réfrigérée.
Comme si elle portait sa fraîcheur en elle, comme un attribut, une grâce.
Puis une femme et une jeune fille apparaissent.
Intriguée, la femme me demande : d’où viens-tu ? Où vas-tu ? Que fais-tu là ?
Je lui explique ma démarche.
Soudain, elle me dit : « Voulez-vous manger des pâtes ? »
Après 25 km de marche… Comment refuser ?
Elle s’appelle Fatima. Elle vit à Istanbul, mais elle est venue rendre visite à ses parents. Leur maison est juste à côté de la source.
À peine arrivé dans la cour, le père de Fatima me fusille du regard. Conservateur, probablement xénophobe.
Fatima et sa nièce Elif s’empressent de lui parler, sans doute pour invoquer le devoir d’hospitalité.
Pendant ce temps, une vieille femme me fait signe du balcon. Je devine que c’est la mère de Fatima.
Elle m’invite à monter.
Fatima et Elif nous rejoignent peu après. Le père ne réapparaîtra pas.
Nous discutons, nous rions.
Elles me présentent des voisins, un oncle centenaire.
Finalement, elles décident ensemble de m’offrir le gîte et le couvert.
Plus tard dans la soirée, Elif me dit simplement :
« Je ne sais pas pourquoi… ni ce que cela signifie… mais en tout cas, nous sommes très heureuses de t’accueillir. »
C’est, peut-être, la résistance douce de trois générations de femmes face à un patriarche.
Un accueil. Un seuil. Une source.
RD
Une fontaine de pierre se dresse dans l’ombre bleue du soir. Gravée d’un hommage aux défunts, elle offre son eau comme une prière liquide. C’est ici, à cette source de Yeşilkent, que j’ai rencontré Fatima et Elif, surgies comme deux figures d’accueil. Pour le marcheur, cette source est oasis et offrande : fraîcheur vivante au cœur du chemin, seuil d’une rencontre inoubliable.
Sur la terrasse d’une maison en surplomb, juste en face de la source, trois femmes se tiennent : Leila, la grand-mère, Fatima, la mère, et Elif, la nièce. Trois générations rassemblées dans une tendresse droite. Elles incarnent l’hospitalité active, la présence forte et douce. Cette terrasse est devenue pour moi un refuge, un lieu suspendu, une halte dans la lignée humaine. Une résistance discrète face au patriarche, un accueil gravé dans le pas.
📍 Emplacement de la rencontre à Yeşilkent – Étape 143 de la performance marchée "Ex-tracés"